Europe: Chirac a défendu les intérêts français, sans donner d'impulsion

En douze ans à la tête de l'un des six pays fondateurs de l'Europe, Jacques Chirac a su défendre avec force les intérêts français à Bruxelles mais a échoué à donner une nouvelle impulsion à une construction européenne en désarroi.

De la dénonciation du "parti de l'étranger" dans l'eurosceptique "appel de Cochin" de 1978, au fiasco du réferendum européen en 2005 en passant par son soutien décisif au traité de Maastricht en 1992, le parcours européen de Jacques Chirac est cahoteux.

Au fil des années, le président de la République s'est mué en Européen convaincu. Mais dépourvu de tout enthousiasme pour Bruxelles, il est surtout apparu comme un dirigeant pragmatique, ferme partisan de l'Etat-nation et hostile au fédéralisme comme à toute supranationalité.

Dans les Conseils européens, qui réunissent quatre fois par an les leaders de l'Union européenne, il laissera quelques souvenirs tonitruants. Comme son algarade avec le Premier ministre britannique Tony Blair sur la politique agricole commune (PAC) en octobre 2002 ou quand il a publiquement sermonné en février 2003 les ex-pays communistes alignés sur Washington dans la guerre en Irak.

Jacques Chirac s'est surtout montré intransigeant dans la défense des paysans français face aux projets de réforme des aides de la PAC, principal budget de l'UE, sous la pression notamment des Britanniques.

"C'est quelqu'un qui n'a pas eu de véritable fibre européenne", à la différence des anciens présidents Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand, juge, assez sévère, Yves Meny, le président de l'Institut universitaire européen, basé à Florence.

"La France a souvent privilégié des intérêts de court terme, par exemple le budget de la politique agricole, et s'est montré réticente sur des projets qui pouvaient engager l'Europe dans un véritable approfondissement", a-t-il dit à l'AFP.

Mais, selon lui, il s'agit d'une "faute partagée de la classe politique française", en particulier avec l'ex-Premier ministre socialiste Lionel Jospin, quand les deux hommes "ont choisi délibérement d'avoir une approche minimaliste" lors du sommet de Nice, sous présidence française, en 2001.

Jacques Chirac a privilégié l'axe franco-allemand pour tenter d'imposer les vues françaises à ses partenaires. Cela a fonctionné dans l'ancienne Europe à 15, grâce aussi à sa proximité avec le chancelier Gerhard Schröder, une amitié renforcée lors de nombreux -et copieux- dîners en tête-à-tête.

Selon l'universitaire, Jacques Chirac a partagé avec de nombreux Français "le rêve d'une Europe qui aurait été comme une grande France. Mais le rêve s'effondre comme une crêpe" dans une Europe à 27 où les cartes ont été redistribuées.

Le "non" français au référendum sur la Constitution européenne en mai 2005, un vote populaire voulu par M. Chirac au risque d'un vote sanction de sa politique, a donné un coup d'arrêt à la tentative de rendre l'Europe plus démocratique et plus efficace.

La France est ressortie affaiblie de cette épreuve, en ayant perdu sa capacité d'impulsion dans la construction européenne. Signe de cette perte d'influence, les grands pays européens se sont retrouvés fin janvier à Madrid pour esquisser leur avenir commun, mais pour la première fois sans la France.