Nicolas SARKOZY
Président de l'Union pour un Mouvement Populaire
Mon engagement pour la Culture
Paris – mercredi 4 avril 2007
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et Messieurs,
Si j’ai souhaité m’exprimer aujourd’hui sur la culture et la politique culturelle, c’est parce qu’il s’agit à mes yeux de l’un des sujets les plus importants dont un président de la République et par conséquent un candidat à la Présidence de la République ait à se préoccuper. Depuis le début de la Vème République, la place et le contenu de la politique culturelle ont toujours été directement liés à l’engagement personnel du président de la République.
Sans cet engagement, nous savons tous que la culture serait condamnée à rester éternellement le parent pauvre de la politique.
Il y a derrière le problème de la culture des enjeux économiques tout à fait considérables, des enjeux marchands, des enjeux matériels, des enjeux sociaux.
Sans la culture il y a des secteurs d’activités, il y a des industries qui ne vivraient pas. Mais la logique économique, la logique industrielle ou commerciale de ces secteurs qui sont nécessaires à la diffusion et au partage de la culture par le plus grand nombre, n’a pas grand-chose à voir avec celle de la création artistique sans laquelle la culture cesserait de vivre.
L’artiste entretien avec le monde de l’économie et des industries culturelles à peu près le même rapport que le savant avec tous ceux qui sont susceptibles de trouver des applications rentables à ses découvertes.
L’émotion que procure à l’artiste l’acte de création d’une œuvre unique au monde, la joie intellectuelle du savant qui résout une énigme que nul avant lui n’avait réussi à percer, sont irréductibles à toutes les autres formes de satisfaction du travail accompli.
Il y a une spécificité des œuvres d’art et de science qui ont besoin pour naître de faire appel à quelque chose de plus grand que la technique et qui est de l’ordre de l’esprit ou, si l’on veut, et si le mot ne fait pas peur, de l’âme.
Car je crois, moi qui ne suis pas artiste, mais qui observe depuis toujours avec passion les œuvres d’art et les artistes, je crois que l’artiste ne s’adonne pas à son art que pour se faire plaisir et que dans chaque œuvre d’art il y a une tentative de réponse à une interrogation de nature spirituelle.
Rodin, qui ne croyait pas en Dieu, disait, je crois, que les vrais artistes étaient les plus religieux des mortels.
Comprenez moi bien : je ne pense pas que la culture, cet ensemble de connaissances, de valeurs, de croyances, qui détermine un style de vie, de pensée, de sensibilité, soit réductible à l’art. Ce que désigne, ce que sous-entend même le mot culture, est beaucoup plus vaste : il englobe les sciences, les techniques, les savoir-faire, la langue, le rapport aux autres et au monde.
Mais si je veux avant tout vous parler de l’art, c’est parce que c’est dans ce domaine particulier de la culture et de la création que se pose le problème, peut-être le plus grave, celui en tout cas qui est le plus lourd de conséquences et sans doute le plus éloigné des politiques de gestion qui depuis des années accapare toute l’énergie et la volonté de la puissance publique.
Longtemps l’art a participé d’un imaginaire commun qui lui donnait un sens. Or, le fait majeur de notre époque, c’est l’éclatement de l’imaginaire collectif en une multitude d’imaginaires individuels de moins en moins capables de communiquer les uns avec les autres.
La disparition, peut-être pas définitive, mais bien réelle, d’un imaginaire commun est le corollaire de la dislocation d’une culture commune, d’une sensibilité et d’une croyance partagées par le plus grand nombre.
Nous ne sommes pas confrontés à une crise de l’art ni à une crise de la culture. Mais nous sommes confrontés à une crise de la transmission de la culture, de la transmission des valeurs esthétiques, intellectuelles, morales, qui fondent une vision commune du monde, qui permettent de partager des émotions, des sentiment, parce que l’on partage une façon de les exprimer.
Cette crise est grave parce qu’elle rend l’art totalement énigmatique pour une bonne partie de ceux auxquels il est censé s’adresser.
Mais elle est plus grave encore par le fait même qu’elle menace directement notre capacité à vivre ensemble et à nous comprendre.
Je voudrais vous dire ma conviction que si le monde de la culture est confronté lui aussi aux bouleversements des modèles économiques engendrés par la globalisation et pas la révolution numérique, c’est d’abord un problème lié à l’idée même de la culture et de l’art qu’il doit résoudre.
L’avenir du livre, du théâtre, de la poésie, du roman, de la peinture, de la sculpture, de l’architecte, de la musique, du cinéma, de la photographie ne se joue pas d’abord dans l’ordre matériel mais dans celui de l’esprit.
Ouvrir les consciences à l’idée de l’art. Éduquer la sensibilité et l’émotion à reconnaître et à aimer ce qui est beau. Réapprendre à hériter et à partager les œuvres, les valeurs et l’histoire qui font que pour que l’art cesse d’être une énigme et se mette de nouveau à signifier quelque chose, pour que l’enfant auquel on montre une Vierge de Raphaël, ou la Piéta de Michel-Ange, ou que l’on emmène voir Bérénice, n’ait pas le sentiment que tout cela lui est tellement étranger que ça ne le concerne pas.
Je ne crois pas que l’art, ni même la culture au sens large soit une garantie que la barbarie soit vaincue.
Mais la culture est tout ce que nous avons pour tenter de donner aux forces de l’esprit les moyens de dominer les pulsions et de canaliser la violence qui est dans l’homme.
C’est par la culture partagée, par l’émotion partagée devant la beauté que nous lutterons le plus efficacement devant la tentation communautariste qui enferme chacun dans ses origines et contre la loi des bandes qui est celle de l’instinct et de la brutalité.
C’est en apprenant à reconnaître les chefs-d’œuvre que nous apprendrons à nos enfants que tout ne se vaut pas et qu’il y a une hiérarchie des valeurs.
C’est en faisant partager le pressentiment de ce lien mystérieux que l’art établit entre le particulier et l’universel que nous échapperons à la crispation identitaire comme unique réponse à la l’aplatissement du monde par l’économie et la technique.
Ceux sont les raisons pour lesquelles je veux mettre l’art et la culture au cœur de la politique.
L’art n’est pas tout, il ne peut pas tout. Mais l’art élève l’homme au-dessus de sa condition. L’art c’est l’assurance donnée à l’homme que sa puissance créative est telle qu’il peut changer le monde, et que c’est d’abord la force de son imagination qui fait la qualité, l’intensité, la beauté de son existence.
Ceux qui pensent que l’art est inutile, ceux qui ne voient dans le patrimoine artistique qu’un résidu du passé sans intérêt, ceux qui ne comprennent pas pourquoi on aide le cinéma, pourquoi on subventionne le théâtre, pourquoi on entretien les monuments historiques, pourquoi on dépense de l’argent pour les musées, ceux-là en vérité n’accordent tout simplement aucun prix à la dimension spirituelle de la vie.
Il suffit pourtant de s’imaginer ouvrant tous les jours ses volets sur le chevet de Notre-Dame et de s’imaginer les ouvrant sur un terrain vague pour ressentir à quel point l’œuvre d’art change le rapport de l’homme avec le monde.
Pour faire comprendre les limites de l’économie quantitative, un économiste a fait remarquer un jour que si l’on démolissait Notre-Dame pour la remplacer par un parking, le PNB de la France augmenterait.
Serions-nous plus heureux ? Vivrions-nous mieux ?
L’évidence contraire s’impose à l’esprit le moins religieux qui soit. Nous aurions peut-être l’impression d’être plus riches. En réalité, nous serions plus pauvres. Et pas seulement parce que nous perdrions des recettes touristiques. Mais parce que la vraie richesse, même pour la science économique, c’est le bien-être et que le bien-être n’a pas qu’une dimension matérialiste. Il ne se nourrit pas que de marchandise.
Si nous cessions d’entretenir nos cathédrales et nos monuments, si nous cessions de représenter Molière et Racine, si nous renoncions à soutenir la création artistique et la diffusion des œuvres, loin de nous enrichir, nous dilapiderions une richesse inestimable.
Je crois qu’il y a une économie de la culture, qu’il y a un marché de l’art. Mais je ne crois pas que la culture, que l’art, puissent être entièrement abandonnés à la logique du marché.
Il y a dans l’art et dans la culture des enjeux qui dépassent les marchés.
L’art, la culture, renvoient à une certaine idée de l’homme. Ce sont des enjeux de civilisation. Et si je suis convaincu des bienfaits de l’économie de marché, je ne crois que le marché ait jamais porté un projet de civilisation.
D’autres l’ont dit avant moi mais je veux l’affirmer ici, devant vous, comme je le fais dans tous mes discours depuis le début de cette campagne : j’ai la conviction qu’il nous faut passer aujourd’hui d’une politique de gestion à une politique de civilisation.
Je ne crois pas que dans la situation où nous sommes, dans l’époque qui est la nôtre, entre un monde ancien qui n’en finit pas de mourir et un monde nouveau qui a bien du mal à naître, nous puissions faire l’économie de mettre explicitement la politique au service d’une idée de l’homme et par conséquent d’un projet de civilisation qui ne peut pas se limiter à la question des retraites ou à celle du déficit budgétaire même si ces questions sont capitales pour notre avenir.
Une politique de civilisation, c’est évidemment une politique qui attache plus d’importance et de moyens à ce qu’on appelle habituellement une politique culturelle. Mais c’est aussi une conception beaucoup large et beaucoup plus ambitieuse de la politique culturelle que celle qui se cantonne aujourd’hui à la seule action du Ministère de la Culture.
La politique culturelle, dans mon esprit, doit répondre au problème de l’école autant qu’à celui des banlieues, à celui de l’éducation autant qu’à celui du lien social, à celui de l’identité autant qu’à celui de la création, à celui de l’héritage autant qu’à celui de la société d’information.
Si je suis élu, j’assignerai pour les 5 ans à venir, cinq priorités à la politique culturelle.
La première priorité, ce sera de défendre la diversité culturelle non seulement en soutenant et en encourageant la francophonie et la création française mais aussi en agissant au sein de l’Union européenne pour que les activités culturelles se voient reconnaître un statut dérogatoire par rapport aux droits de la concurrence. Je demanderai à nos partenaires que la spécificité des activités culturelles soit consacrée dans les traités de sorte que les aides publiques à la culture ne puissent plus faire l’objet d’aucune contestation.
La deuxième priorité ce sera la valorisation du patrimoine. Je veux que le patrimoine soit entretenu. Je veux qu’il soit accessible à tous, ouvert à tous, et non refermé sur lui-même. Je veux qu’il soit remis au cœur de la vie sociale, que des liens soient tissés entre les sites, les monuments, et les établissements scolaires. Je veux que les citoyens se réapproprient le patrimoine et qu’à travers lui ils retrouvent leur identité et leur héritage commun et qu’il puisse les faire vivre.
La troisième priorité, ce sera l’enseignement artistique. Car c’est avec les enfants que tout se joue. Si on ne leur donne pas le goût de la lecture, si on ne les rend pas curieux de ce qui est beau, si on ne les met pas en contact avec les grandes œuvres de la sensibilité et de l’esprit humain, si on ne leur transmet pas une culture commune, alors non seulement on les privera d’un trésor inestimable, mais on préparera le retour d’une forme de barbarie à travers la disparition d’une certaine idée de la grandeur de l’homme et de son universalité. Mais qu’on me comprenne bien : je crois, comme Malraux, qu’il ne suffit pas d’expliquer les œuvres d’art et d’apprendre leur histoire. Il faut aussi apprendre à les aimer. Ce qui signifie que la transmission de la culture et l’apprentissage du beau n’est pas seulement l’affaire des pédagogues, mais aussi celle des artistes et que l’école doit s’ouvrir à eux comme les grandes institutions culturelles doivent s’ouvrir sur l’école.
La quatrième priorité, ce sera de faire entrer la culture et l’art dans les quartiers. Ce que Jean Vilar voulait faire avec le TNP et ce que Malraux voulait faire avec les maisons de la culture, je voudrais que nous le fassions dans les banlieues. Je voudrais que dans les quartiers comme dans les collèges, les lycées comme dans les universités, il y ait des lieux de rencontre avec les artistes, de pratique artistique, de création. Je voudrais que toutes les institutions culturelles soient impliquées dans cette démarche. Je souhaite que cette démarche soit soutenue et encouragée par l’Etat, et contractualisées avec les villes, les départements et les régions.
La cinquième priorité, ce sera de faire se rencontrer le monde de la culture et de l’art avec celui des technologies de l’information. Ce sera de faire du monde virtuel qui émerge avec la révolution numérique un nouveau champ de création et de diffusion des œuvres. Je souhaite que la politique culturelle investisse la société de l’information et qu’elle la tire vers le haut, qu’elle lui donne une âme, un contenu, fidèle à un idéal de civilisation que nous avons hérité des Lumières.
Je souhaite qu’elle fasse émerger un nouveau modèle économique, viable, qui respecte le droit des auteurs, des créateurs, des artistes, et qui en même temps réponde à l’exigence de permettre que les œuvres soient accessibles à tous, qu’elles soient le plus largement diffusées. Encore cette accessibilité n’a-t-elle de sens que si le besoin d’art et de culture est dans les esprits, que si le goût de ce qui est beau et ce qui est grand a été transmis.
Les grands principes et les grandes priorités étant ainsi fixées, je voudrais maintenant évoquer quelques uns des points qui vous préoccupent légitimement pour l’avenir.
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Une grande ambition de la politique culturelle, c'est le soutien à la création d'aujourd'hui. Bien sûr, l'innovation, le talent, la capacité à faire bouger les lignes, ou simplement à divertir -car ce n'est pas honteux- avec exigence et qualité, ne se décrètent pas dans les bureaux. Mais la création a besoin d’aide si l’on ne veut pas que la loi du profit à court terme décide de tout.
Il est certain, par exemple, que le prix unique du livre a été essentiel pour l'édition et a sauvé nombre de libraires, ce qui est crucial à mes yeux. Bien sûr, il faut des enseignes puissantes, qui sont des acteurs culturels majeurs. Bien sûr, il est normal et souhaitable que des livres soient vendus dans les grandes surfaces. Mais ne rêvons pas. La littérature de fond, la littérature à risque, celle par exemple des premiers romans, a besoin de ce réseau des passionnés que sont les libraires, qu'il faut soutenir, avec les collectivités locales, notamment contre la spéculation immobilière. Il faut les aider au développement d’une offre numérique, c’est à dire à mettre en ligne leur catalogue, leurs disponibilités, afin que les acheteurs, sûrs de ce qu’ils vont trouver, se rendent dans ces lieux de convivialité. De même qu'il faut aider les éditeurs à prendre le tournant des nouvelles technologies. Dans cet esprit, je souhaite que le Centre National du Livre voie ses missions et ses moyens renforcés.
La situation est différente pour notre marché de l’art, dont le dynamisme s’inscrit plutôt dans une revitalisation globale de notre économie. Très simplement, si les acheteurs potentiels reviennent en France, la place de Paris sera confortée. Mais là encore, on peut agir. Via les commandes publiques. Les collections que constituent en régions les FRAC, le FNAC dans la capitale, et qui portent des ambitions, des cohérences. En rendant la France plus attractive pour les artistes étrangers, avec la création, sur l’ensemble du territoire, de maisons ou de cités pour les accueillir en résidence. En nous battant, à Bruxelles, et je suis décidé à le faire, pour que la TVA à l’importation soit réduite, notamment pour les arts décoratifs, les meubles, les manuscrits, ce qui est une nécessité si l’on veut concurrencer le Royaume-Uni où la TVA n’est que de 5%, et qui occupe une place majeure sur la marché de l’art.
Très importants, aussi, sont le fond de soutien pour le théâtre privé, et les différents systèmes d’aides au spectacle vivant. Elles sont nécessaires, pour que vivent ces troupes, qui participent du maillage culturel de notre pays. Il faut notamment leur permettre de mieux diffuser leur travail, car, par exemple, il n’est pas normal que beaucoup de pièces de théâtre soient représentées moins de dix fois. L’on peut réfléchir à la meilleure manière d’attribuer ces aides, en associant davantage les professionnels au processus de décision. Mais le principe du soutien public au spectacle vivant est intangible à mes yeux.
De même, je mesure pleinement le rôle joué par les intermittents du spectacle, sans lesquels il n’y aurait pas de spectacle vivant, pas de créations cinématographiques, ou audiovisuelles. Il est normal qu’ils bénéficient d’un régime d’indemnisation du chômage particulier, qui est d’ailleurs unique dans le monde. Je suis favorable à une indemnisation généreuse qui permette à ceux qui décident de travailler pour la culture de vivre convenablement quitte à leur demander en contrepartie de contribuer au développement de l’enseignement artistique et à la découverte par les jeunes des métiers de la culture.
Pour l’instant, un nouvel accord vient d’être signé. Je pense qu’il faut le laisser vivre et en faire le bilan dans quelques mois. Mais la vérité, c’est qu’un accord sera toujours insuffisant tant qu’il se fera dans un contexte de pénurie. Or, je suis convaincu que l’emploi culturel est plein de promesses, et qu’il compte parmi les secteurs les plus créateurs, potentiellement, de richesses et de croissance, en particulier du côté du cinéma et de l’audiovisuel. Je ferai tout pour le développement de l’emploi culturel.
Dans le domaine du cinéma, décisifs sont les dispositifs qui ont été mis en place, via les contributions des chaînes de télévision, les taxes sur les tickets d'entrée en salles, l'avance sur recette, les SOFICAS. Ils ont permis à notre cinéma de résister brillamment à la concurrence américaine. De s'affirmer par rapport aux autres cinémas européens, trop souvent marginaux sur leur propre marché, alors que notre production nationale a représenté en 2006 45 % du marché français, avec plus de 84 millions d'entrées. Je me réjouis que ces dispositifs, portés par le Centre National de la Cinématographie, aient été validés par la Commission européenne, ce qui consolide un système d'aide à la création unique, et envié dans le monde entier. Je suis fier, aussi, d'avoir œuvré pour que soient adoptés les crédits d'impôts pour l'industrie cinématographique audiovisuelle, avec l'objectif de relocaliser en France les tournages, et donc de développer l'emploi, et d'avoir conforté les SOFICAS, indispensables au financement des films indépendants.
Des problèmes demeurent. Celui de l'écriture des films, qui doit être aidée davantage. Celui de la distribution, si l'on songe que fréquemment, un très petit nombre de productions occupe l'immense majorité des écrans, ce qui impose de mieux soutenir les salles qui portent la diversité cinématographique, et aussi, de trouver le moyen, via les contrats de distribution des œuvres, d'assurer à tous les films une durée d'exposition équitable. C'est possible, puisque cela existe ailleurs ! Problème, aussi, du formatage de beaucoup de films, conçus et financés pour être des produits télévisuels, ce qui pose la question de ce que l’on peut attendre de l’audiovisuel, notamment public. Problème, enfin, des nouvelles technologies et de tout ce qu'elles permettent, en matière de téléchargement sauvage.
Vous le savez, j'ai pris position avec force pour le respect du droit d'auteur dans tous les domaines, musique, films, livres. Je veux redire ici que je continuerai à me battre pour le respect de ce droit, car la rémunération du travail des auteurs, des artistes, des producteurs est aussi juste que nécessaire. Nous pourrons faire, fin 2007, un état des lieux de la loi relative aux droits d'auteurs et droits voisins dans la société de l'information, loi que je salue, et en particulier évaluer les conséquences de la suppression par le Conseil Constitutionnel du dispositif de riposte graduée qui divisait votre communauté. Et je me réjouis que la loi du 5 mars dernier ait organisé la contribution des fournisseurs d'accès à Internet et des opérateurs de téléphonie mobile à l'aide à la création, musique et cinéma, car il me semble normal que les nouveaux supports de diffusion participent également au financement des comptes de soutien.
En réalité, la révolution numérique nous oblige à être imaginatifs autant que pragmatiques, et à cerner les priorités.
Les nouvelles technologies offrent, évidemment, une augmentation sans limites des possibilités de diffusion. Elles permettent aux nouveaux talents de se faire connaître sans intermédiaires. Elles sont un lieu privilégié pour le dialogue des cultures. Elles sont une réalité qui nous oblige. La France doit améliorer toujours davantage son positionnement et jouer de tous ses atouts. C'est capital en termes économiques, car des milliers et des milliers d'emplois en dépendent. C'est capital en termes politiques et culturels, car, d'une dépendance technologique, peut découler une dépendance culturelle, comme le montre, par exemple, la domination d'un moteur de recherche comme Google.
C'est pourquoi, je souhaite que soit menée une politique de soutien efficace de nos entreprises innovantes dans ce secteur. Dans cet esprit, les universités doivent devenir des zones franches fiscales pour les étudiants, les enseignants, les chercheurs qui déposeraient des brevets et créeraient des entreprises. Je souhaite conforter l'excellence de notre industrie du logiciel et en particulier dans le domaine des jeux vidéos où nos talents fort nombreux ont tendance à s’expatrier de plus en plus souvent.
Je souhaite que l'Europe développe sa propre industrie des dispositifs de protection des œuvres. Il faut que, parallèlement, les industries culturelles affectées par Internet soient aidées pour réussir leur évolution. Ce qui signifie, pour le disque, qu'il faut aider à la numérisation des œuvres et développer toutes les formes de diffusion légale. Réfléchir à des aides sociales pour soutenir l’emploi dans la filière musicale. Examiner l’ensemble des règles fiscales applicables à ce secteur, afin de les adapter dans ce contexte de complète mutation.
La presse, elle aussi, a été durement touchée, même si ses difficultés ont bien d’autres causes. L’arrivée d’Internet a été pour elle un facteur aggravant. Il faut donc soutenir la presse, garantir la pérennité de l’actuel système d’aides, notamment l’aide aux fonds propres. Enfin, nous devons être à ses côtés dans ses efforts pour s’adapter aux réalités nouvelles. Cela passera sans doute après concertation avec l’ensemble des partenaires concernés, à une réforme d’ensemble, et notamment, dans le secteur de la distribution, par une réforme de la loi Bichet, qui, par les contraintes qu’elle impose, provoque, indirectement, la fermeture de nombreux points de vente. L’Etat doit jouer pleinement son rôle, parce qu’il n’y a pas de pluralisme de l’information, et donc de démocratie véritable, sans des entreprises de presse rentables et économiquement viables.
Cela étant dit, il n’en reste pas moins qu’Internet est un extraordinaire instrument de démocratisation culturelle, qui doit être pleinement utilisé. Je pense, par exemple, à la création de sites publics mettant gratuitement à disposition les œuvres du patrimoine français tombées dans le domaine public, ou financées par fonds publics. Je pense à la création de sites éducatifs et interactifs mettant les jeunes en contact direct avec les créations contemporaines. Il y a là un gisement infini, qui doit être exploité au profit de tous.
Au-delà des possibilités des nouvelles technologies, la démocratisation de la culture passe par une télévision de qualité, parce que c’est le média que chacun regarde, qui pénètre dans tous les foyers. Trois à quatre heures par jour ! Près de 100 000 heures dans une vie ! L’enjeu est considérable, en termes de lien social, de transmission partagée, et bien sûr d’emploi culturel. Il faut être ambitieux pour notre télévision, et notamment pour les chaînes publiques. C'est un fait, l'audiovisuel public est actuellement sous financé. Nous devrons trouver des solutions, sans tabous, car un financement convenable est indispensable si nous voulons mettre la barre de la création et de l'imagination audiovisuelles à la hauteur qui devrait être les leurs. Les chaînes publiques doivent exprimer leur singularité, en diffusant à des heures d'écoute convenables des programmes de qualité.
Il s'agit aussi et surtout d'inventer une nouvelle culture audiovisuelle, avec des téléfilms, des fictions de qualité - et la diffusion récente de la série des Maupassant en est un très bon exemple -, des documentaires, des émissions de plateau ou s'échangent idées et contenus. Nous avons tout en main pour relever ce défi : des professionnels remarquables. Des maisons de production excellentes. Des spécialistes de fiction et de documentaires internationalement reconnus.
Là encore, les perspectives en matière d'emploi sont considérables. Sait-on que le doublement des fictions sur nos chaînes représenterait 400 000 journées de travail en plus pour les intermittents qui en vivent ? La télévision est vraiment partie prenante d'une économie de l’immatériel extrêmement prometteuse et encore trop balbutiante.
Je voudrais aussi évoquer un sujet qui me tient particulièrement à cœur qui est celui de notre modèle universitaire : qu’attend-on pour faire tomber certaines barrières dans notre enseignement supérieur ? Pourquoi, dans d’autres pays, peut-on suivre en même temps, dans un même cursus, des études de droit et d’art, ou encore de biologie et de musique, alors que chez nous, l’on est dans l’extrême spécialisation, et donc une certaine asphyxie ? Dans les nouveaux campus que j’appelle de mes vœux et que nous devons créer, tout doit être fait pour favoriser l’existence d’orchestres, de troupes de théâtre, d’ateliers film ou écriture, parce que ce sont d’extraordinaires pépinières de talents. Cessons de porter un regard condescendant sur les pratiques amateurs. C’est souvent par elles que la création peut s’installer dans les vies !
Et puis, la démocratie culturelle, c’est bien sûr la vie culturelle en région, Il est important de rétablir les équilibres entre Paris et province, de donner un coup d’arrêt à la multiplication, dans la capitale, de nouveaux grands établissements alors que c’est le maillage culturel de la France qu’il faut renforcer. Alors qu’il faut répondre aux attentes de nos compatriotes par des chèques culture, des passeports culturels offrant un panel de spectacles et d’activités, des exonérations ciblées capables d’attirer les publics éloignés des pratiques culturelles comme, par exemple, la gratuité dans les musées. Alors qu’il faut sans doute imaginer les maisons de la culture du XXIème siècle. Partout, nous devons accueillir et promouvoir les forces créatrices qui se manifestent, favoriser le meilleur.
Notre vitalité culturelle en dépend, et donc notre vitalité tout court, parce que tout se tient. La culture, la création reflètent toujours la force d’âme d’un pays, son envie de vivre, de se faire entendre, d’exprimer tout son être, de tracer ses nouvelles frontières.
Je voudrais que la France soit davantage portée par cet élan créatif. C'est ainsi que notre culture sera attractive pour les talents venus d'ailleurs, car le génie de notre peuple est fait de mélanges.
Mon rêve, aujourd’hui, c’est que la France compte hors de l’hexagone. Que ses créateurs, écrivains, artistes soient connus et reconnus, que notre création soit vivante dans les universités étrangères, les colloques, les grandes collections, les musées phares, les grands projets architecturaux, au sein du marché de l’art comme de celui du cinéma. Non pas que nous soyons absents. Mais nous ne sommes pas assez présents, assez influents. On le sent bien, c’est un élan, une volonté, une confiance que nous devons retrouver pour peser vraiment.
Je souhaite que nous nous dotions des relais les plus performants pour porter cet esprit de conquête. Je souhaite que le réseau de nos centres culturels à l’étranger, soit plus présent et plus actif au cœur des nouvelles puissances, des pays émergents, notamment du côté de l’Asie.
De même, il est urgent de mieux fédérer notre paysage audiovisuel extérieur, qui, là encore, est éclaté en de multiples chaînes, au lieu de rassembler ses moyens et ses talents pour porter de façon moderne et crédible la voix de la France. Et puis, il faut que nos grandes expositions circulent davantage. Que nos galeries, nos artistes soient plus présents dans les grandes foires internationales, ce qui est l’une des conditions pour que la place de Paris redevienne l’une des plaques tournantes du marché de l’art. Tout est lié. Il faut, enfin, exporter partout dans le monde notre savoir-faire, notre ingénierie culturelle et faire connaître nos chefs d’œuvre en tous lieux.
Pour accroître notre rayonnement, pour renforcer nos positions, nous devons aussi jouer avec force la carte européenne. Il y a un système d’éducation européen à inventer, dont ERASMUS ne contient que les prémices, avec des parcours universitaires effectués dans différents pays, et cela dans toutes les disciplines. Avec des écoles européennes. Par exemple, une école européenne du patrimoine. Par exemple, une école européenne du cinéma, parce que cela a du sens. Et il y a, bien sûr, une culture européenne à faire vivre, avec le développement des coproductions cinématographiques et audiovisuelles, avec la circulation des œuvres et des artistes, des aides massives à la traduction, des grandes manifestations et expositions itinérantes et la multiplication d’institutions comme la Villa Médicis ou la Casa Vélasquez dans les grandes nations d’Europe.
On nous attend, bien plus que nous ne le croyons nous-mêmes. On nous attend pour relancer de façon très concrète le projet européen.
On nous attend pour défendre certaines valeurs, dans un monde où la liberté de penser, la dignité des êtres, et notamment des femmes, est si souvent bafouée. On nous attend pour défendre les droits de l’homme dont notre patrie est le berceau. On nous attend pour défendre l’idée, fondamentale, que nos biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres.
Voilà, chers amis, ce que je voulais partager avec vous. Simplement un acte de foi et de confiance en nous-mêmes. Un acte de foi et de confiance en notre civilisation, en notre culture.
Je vous remercie.
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